J'écris ton nom, Liberté !
Dernière mise à jour : 7 janv. 2021

The Warsaw Ghetto Uprising est une peinture du bulgare Christopher Stefanoff ( 1898-1966 ) réalisée à l'occasion du 5e anniversaire de la révolte du Ghetto de Varsovie. On peut y voir jeunes Juifs et vieux rabbins lutter côte-à-côte.
Une carte de blanche de Sacha Guttmann, étudiant en Sciences Politiques et Président de l'Union des Etudiants Juifs de Belgique.
19 avril 1943. Une main se lève. Cette main, c’est celle de Mordechai Anielewicz, 24 ans. Par ce geste, il vient de déclencher une insurrection, celle du Ghetto de Varsovie. De la cohue provoquée parmi les 2000 soldats Allemands venus donner le coup de grâce au Ghetto, ne sort qu'un seul cri :« Juden haben Waffen », « Les Juifs ont des armes ». Après presque 3 années de peur, famine et déshumanisation, le ghetto vient de se soulever. Non pour sa survie, les 700 combattants pour beaucoup à peine majeurs et les 350 revolvers à disposition ne feront pas tomber une armée dominant l’Europe. Ces adolescents le savent. Ils ne combattent pas pour la victoire. Ils combattent pour la Liberté. Celle de choisir leur mort, une mort sans chaînes, une mort debout, une mort les armes à la main pour tuer la haine, pour laver l’honneur.
Hasard du calendrier, ce lundi 19 avril 1943 était également le premier jour de la fête de Pessah, cette fête qui célèbre la sortie des Hébreux d’Égypte. Par cette évasion, ils rompaient alors avec 400 ans d’esclavage. Cette célébration, véritable ode à la Liberté pour des générations entières de Juifs est l’un des fondements majeurs du judaïsme. Comment donc ne pas voir dans la révolte du Ghetto de Varsovie la marque d’une longue tradition juive qui s’inscrit notamment dans la lignée de Pessah, celle de l’émancipation du faible face au puissant.
Ces jeunes Juifs, en ce matin de Pessah 1943, quelques heures avant de faire fuser les premières balles qui glaceront les soldats de la Wehrmacht, quelques heures avant de dégoupiller les premières grenades qui mettront en déroute la grande armée allemande, quelques heures avant de débuter la révolte qui aura raison de leurs vies, en ce matin-là, ces jeunes Juifs pouvaient-ils ne pas songer à cette formidable coïncidence ? Mordechai était Moïse, les fusils étaient les plaies. Mais eux ne traverseraient pas les murs du ghetto comme les hébreux traversèrent la Mer Rouge. Ils le savaient. Cela ne faisait rien, ils ne mourraient pas enchaînés et cela leur était suffisant. À l’image de David contre Goliath, c’est avec des lance-pierres que ces Juifs ont déclaré la guerre à l’armée nazie. Les Allemands prévoyaient de faire tomber le Ghetto en trois jours, quelques centaines de gamins l’ont fait tenir vingt-huit jours.
Partout, le récit juif rappelle des histoires de ce type, celles de Juifs humiliés aspirant à la Liberté, à n’importe quel prix. Nous, membres de l’Union des Étudiants Juifs de Belgique, nous sommes un temps posé la question du chemin que nous voulions emprunter ensemble. Quelle serait la valeur qui motiverait nos actions ? À tort, j’ai longtemps cru que c’était celle de la culture. L’organisation frénétique de débats, de formations, de conférences, la volonté de faire de notre maison un lieu bouillonnant de projets et d’idées, l’envie de faire triompher la raison étaient autant de choses qui nous rassemblaient. C’était sans compter le poème de Paul Eluard : « Liberté ». Dans ce poème rédigé en 1942 et parachuté par les Britanniques sur la France occupée en 1943, Paul Eluard écrit le mot liberté sur de nombreux endroits physiques comme métaphoriques. Il le clôt comme ceci :
Sur la santé revenue Sur le risque disparu Sur l’espoir sans souvenir J’écris ton nom
Et par le pouvoir d’un mot Je recommence ma vie Je suis né pour te connaître Pour te nommer
Liberté.
Au travers de cette lecture, j’ai réalisé que générer et partager de la culture n’est qu’une modalité de ce pourquoi nous formons l’Union des Étudiants Juifs de Belgique. C’est pour la Liberté que nous existons. Certes, la culture y concourt, mais croire qu’elle est centrale, c’est confondre le moyen avec la fin.
Nous choisissons donc la Liberté. Mais pas n’importe laquelle. Nous ne voulons pas d’une Liberté frileuse, honteuse d’elle-même comme c’est trop souvent le cas. Notre conception tient en une phrase formulée par Pierre Kropotkine : « Ma liberté commence là où commence celle des autres ».
L’implication de cette idée est considérable. Nous ne luttons pas pour nous, nous luttons pour tous et le peuple juif ne peut en aucun cas mener des combats pour son seul intérêt. La liberté dont nous voulons est une liberté sans concessions qui prend pour condition celle de l’autre, de tous les autres.
Dès lors, notre devoir est de parler, transmettre, apprendre, chercher, lutter pour toutes ces femmes, pour tous ces hommes qui se sont vus retirer leur Liberté parfois même avant le sectionnement de leur cordon ombilical. Tous ces gens qui sont nos frères car les chaînes qui les entravent sont les mêmes que celles qui ont opprimé tant de Juifs à travers l’histoire. Je les nomme haine, ignorance, avidité, cynisme et fanatisme.
Ces gens ont des noms métaphoriques, ceux de leurs combats. Ouïghours, Idlib, Palestine, Israël, féminisme, LGBTQIA+, migrants, démocratie, liberté religieuse, laïcité. Et cela contre le colonialisme, le racisme, l’homophobie, la dictature, l’extrême-droite, le nationalisme, le dogmatisme.
A l’image des cris nazis de ce 19 avril 1943, aujourd’hui encore « Les Juifs ont des armes », nous aspirons à ce que ce ne soit plus jamais celles de la poudre, nous n’en voulons pour rien au monde et, il faut le dire, les fanatiques Juifs pensant régler leurs problèmes en treillis tournent le dos à ceux qu’ils devraient être. Nos armes sont l’histoire, la mémoire collective, l’échange, l’ouverture, l’intelligence. Avec elles nous ne tuons pas la haine, nous appelons ses soldats à prendre le courage de sa désertion.
C’est comme une révolte pour l’Humanité qu’il faut considérer l’insurrection du ghetto de Varsovie car ce soir et pour toujours, le peuple juif dont nous voulons se nomme Liberté.